Les Apports de la loi Schiappa en matière de viol et agressions sexuelles

Concernant ces deux types d’infractions, tout est question des éléments constitutifs du viol. De leur présence ou de leur absence dépend la qualification de crime ou délit.  Le viol est désormais défini comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur, par violence, contrainte, menace ou surprise

Pour que l'infraction de viol soit caractérisée, des éléments constitutifs doivent être caractérisés. Cette infraction doit être perpétrée au moyen d’une pénétration, par les moyens prévus par la loi.

La pénétration doit revêtir trois caractéristiques. Elle doit être commise sur autrui ou sur la personne de l’auteur, par le sexe ou dans le sexe, et sur une personne vivante. 

Sur la question de la personne pénétrée, avant la loi de 2018, la pénétration était seulement admise sur la personne d’autrui. Lorsqu’une femme imposait une relation sexuelle, la question de la qualification de viol a fait débat un temps. Tout d’abord, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, par un arrêt du 16 décembre 1997, concernant des faits où deux responsables d’association avaient été renvoyés devant la Cour d’assise du chef de viol pour avoir réalisé des actes de fellations sur mineurs, la personne pénétrée étant l’auteur, avait estimé qu’il y avait viol. La cour de cassation avait jugé que « Tout acte de fellation constitue un viol dès lors qu’il est imposé par violence, contrainte, menace ou surprise à celui qui le subi ou à celui qui le pratique ». Dans un second arrêt du 21 octobre 1998, la Cour de cassation a fait marche arrière et a annulé une décision de la Cour d’assise caractérisant le viol sur un jeune garçon mineur, auquel son père et sa belle-mère avaient imposé des relations sexuelles sous couvert d’éducation. La Cour de Cassation a refusé de caractériser le viol d’un garçon commis par une femme, en l’absence de pénétration subie par la victime. L’élément matériel du viol n’était matérialisé que si l’auteur réalisait l’acte de pénétration sexuelle sur la personne de la victime. Avec la loi du 3 aout 2018, le viol peut donc désormais être caractérisé lorsque la pénétration est faite sur l’auteur. 

Concernant la pénétration par ou dans le sexe, ce posait la question de la pénétration anale par un objet. Dans un premier temps, par un arrêt de 1987, la Cour de cassation a admis le viol lors de la pénétration d’un objet dans un organe non sexuel. Ensuite, par une décision de 1994, la Haute juridiction s’est attachée au contexte sexuel de la pénétration pour caractériser ou non le viol. Cependant, dans un dernier arrêt du 21 février 2007, la Cour de cassation est revenue à une conception plus objective du viol en précisant que la pénétration n’est sexuelle qu’à partir du moment où elle est faite dans le sexe ou par le sexe. Dans cette affaire, un médecin généraliste avait été renvoyé devant la Cour d’assise sous l’accusation de viol. Trois de ces patientes aurait été contraintes, lors de consultation dans le cabinet, à introduire dans leur bouche un objet de forme phallique recouvert d’un préservatif et de lui faire accomplir des mouvements de va et vient. La Haute juridiction s’était prononcée au visa de l’interprétation stricte de la loi et avait refusé de caractériser le viol. La loi du 3 aout 2018 n’apporte malheureusement aucune précision quant à cette question. Enfin, la pénétration doit être faite sur une personne vivante. Dans le cas contraire, l’infraction retenue sera celle d’atteinte à l’intégrité du cadavre. 

Ensuite, pour être qualifiée de viol, la relation sexuelle doit avoir été faite par l’un des moyens prévus par la loi : soit par violence, menace, surprise ou contrainte. Concernant la violence, celle-ci peut être physique ou morale. Elle est appréciée in concreto. La menace est une sorte de contrainte, violence morale, qui peut par exemple consister en des menaces de mort. La surprise consiste à surprendre le consentement. Dans une décision de la Chambre Criminelle du 23 janvier 2019, il a été admis que la surprise puisse être caractérisée par l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler la véritable identité et l’apparence de l’auteur. 

Enfin, concernant la contrainte, il s’agit de pression physique ou morale exercée sur la victime. Elle a été redéfinie par la loi du 3 aout 2018. Désormais, l’article 222-22-1 alinéa 2 et 3 du Code pénal dispose que « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale ou la surprise peut résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineur et l’auteur majeur » (Alinéa 2) et « Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes » (alinéa 3). 

Le viol est une infraction intentionnelle qui suppose la volonté de son auteur de commettre la pénétration sexuelle en connaissance de cause de l’absence de consentement de la victime. 

2. Sur les agressions sexuelles

Concernant les agressions sexuelles, les composantes sont les mêmes, tant sur l’élément moral, que sur les éléments matériels, à la seule différence qu’il n’y a pas de pénétration par le sexe ou dans le sexe.

Concernant la définition de la contrainte, le législateur a fait un choix, celui, de préciser la notion de contrainte plutôt que d’instaurer un âge minimal en deçà duquel le viol serait automatiquement caractérisé. Ce choix a été fortement critiqué.

Le projet de loi relatif aux violences sexuelles et sexistes prévoyait que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur un mineur de quinze ans par un majeur constitue un viol lorsque l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ». Cette formulation supprimait l’exigence des moyens du viol : plus de contrainte, plus de violence, plus de menace, plus de surprise. Cette rédaction instaurait un régime différent entre le viol sur une personne de plus de quinze ans, et le viol sur les jeunes de mineurs de moins de quinze ans. Cela aurait permis que toute relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans soit qualifiée de viol. 

Cette disposition répondait aux attentes de nombreux professionnels de santé, notamment les psychiatres, qui estimait que les mineurs, en raison de leur maturité, ne pouvaient comprendre la notion de relation sexuelle, et donc n’étaient pas, la plupart du temps, soumis à des actes de contrainte, menace, surprise ou violence. Selon eux, il fallait instaurer un régime du viol propre à ces très jeunes victimes. Finalement, cette solution n’a pas été adoptée par le Gouvernement. 

L’alternative qui a été choisi est celle de préciser les éléments constitutifs de la contrainte ou de la surprise. La loi prévoit donc désormais, pour les mineurs de plus de quinze ans que la contrainte peut résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur, ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que l’auteur exerce sur la victime, cette autorité pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative [6]. Pour les mineurs de quinze ans et plus, « La contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

Du choix de ces formulations, apparaissent une difficulté d’interprétation tenant à l’emploi du verbe pouvoir pour les mineurs de plus de quinze, et du verbe être pour les mineurs de quinze ans. Deux interprétations pourraient être proposées :

D’une part, dès lors que le mineur a moins de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont automatiquement retenues par l’abus de vulnérabilité, la victime ne disposant pas du discernement nécessaire. Cette interprétation équivaudrait à instaurer une présomption de non-consentement, allant à l’encontre du principe de présomption d’innocence, puisque le mis en cause serait de facto automatiquement présumé coupable, jusqu’à preuve du contraire. L’autre interprétation serait que lorsque le mineur a quinze ans ou moins, la contrainte morale ou la surprise ne peuvent être caractérisée que par l’abus de l’état de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes sexuels, ce qui impliquerait d’apporter la double preuve d’un défaut de discernement sexuel, et d’un abus de vulnérabilité. Cette interprétation conduirait à alourdir la charge de la preuve pesant sur la victime. 

Ainsi, soit les droits du présumé auteur sont atteints, par la négation du principe d’innocence et l’instauration d’un présumé coupable ; soit les droits de la victime sont amoindri, avec une charge de la preuve plus lourde, car une double preuve serait à apporter, rendant alors l’infraction de viol plus difficile à caractériser. 

D’autres solutions auraient pu être apportées. Pour certains auteurs, la réforme en elle-même aurait dû être différente. Le législateur, au lieu de modifier et compléter des règles pré existantes, aurait dû les harmoniser, les rendre plus cohérente avec la réalité. Par ailleurs, la non-adoption du principe de non-consentement serait un retour à la case départ, car le régime du viol pour les plus de quinze et pour les moins de quinze ans reste le même, avec toujours la même difficulté concernant l’apport de la preuve des moyens du viol. De plus, la précision de la déduction de la contrainte en raison de l’âge existait déjà sous l’empire de l’ancien article 222-22-1 du Code pénal. Par ailleurs, de nombreuses associations auraient souhaité un interdit absolu criminalisant tout acte sexuel sur un mineur par un adulte, ainsi que l’instauration d’un seuil d’âge minimum en dessous duquel l’infraction serait caractérisée. Enfin, la plus grande majorité des professionnels du droit, de la médecine aurait voulu une législation sur l’éducation aux violences sexuelles dès le plus jeune âge.

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